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l'Expansion. Novembre 2002. Par Guy Mettan

 

Guy Mettan, directeur exécutif du Club suisse de la Presse. Article paru dans l’Expansion en novembre 2002.

 

A 72 ans, l’ancien premier ministre français n’a rien perdu de son bagout et de sa passion militante. Il poursuit son mandat de député européen. Mais surtout, aux côtés du président slovène Milan Kucan, il a pris la tête du combat en faveur de la bonne gouvernance mondiale. Objectif: créer un Collège international éthique, politique et scientifique pour trouver des solutions aux trois grands défis auxquels l’humanité se trouve aujourd’hui confrontée.

 

L’idée de départ part d’un constat simple: le caractère mondial des problèmes exige des solutions mondiales qui passent notamment par la mise en place d’une responsabilité globale. Quels sont donc les grands défis que l’humanité doit aujourd’hui affronter ?

Au-delà du terrorisme, qui n’est que l’arbre qui cache la forêt, ces défis sont de trois ordres: – les menaces écologiques: réchauffement du climat, catastrophes naturelles, pollution de l’eau, épuisement des ressources naturelles, empoisonnement des sols, expansion des pandémies comme le sida, on sait désormais que la biosphère est fragile. Mais les réponses restent timides. Le traité de Kyoto n’a été ratifié ni par le premier pollueur de la planète, les Etats-Unis, ni par le champion de la pollution par habitant, l’Australie. Et le sommet de l’environnement qui s’est tenu en septembre dernier à Johannesbourg n’a rien fait avancer…

Les dérèglements économiques et financiers. C’est moins la mondialisation de l’économie en tant que telle qui est en cause que l’accroissement des inégalités entre pays riches et pauvres. En 1900, on comptait un riche pour 6 pauvres, contre un riche pour 80 pauvres aujourd’hui, soit 13 fois plus. La fortune des 300 personnes les plus riches est égale au revenu de deux milliards et demi d’humains. Il y a donc urgence à créer une mondialisation à visage humain et entreprendre un nouveau projet de civilisation.
 

Crise du sens et de la pensée

La capacité de l’humanité de s’autodétruire, l’obsession matérialiste, la fascination de la violence, l’explosion du terrorisme et des intégrismes religieux, le culte exacerbé de l’ego sont autant de signes d’une humanité spirituellement en déroute. Pour conjurer la barbarie intérieure, la transformation sociale doit donc s’accompagner d’une transformation personnelle de nos comportements et d’une éducation à l’autonomie et à la complexité.

Pour faire face à ces dangers, Michel Rocard et ses amis estiment nécessaire d’œuvrer dans deux directions: l’émergence d’une citoyenneté et d’une démocratie mondiales, seules à même de réguler les excès, et l’établissement d’un ethos mondial apte à encadrer ce projet démocratique, puisqu’on sait que la démocratie ne suffit pas, à elle seule, à empêcher l’exploitation, la corruption et les inégalités. Ce cadre éthique doit reposer sur des valeurs partagées telles que l’inviolabilité de la vie, le respect de la dignité humaine et la règle d’or de la réciprocité envers nos contemporains (ne fais pas à autrui ce qui tu ne voudrais pas qu’il te fasse) et de la responsabilité envers les générations futures.

Dans cette perspective, les personnalités réunies par le président slovène ont proposé la création d’un collège éthique international qui serait chargé de veiller et d’alerter sur les principaux risques que court l’humanité, d’évaluer sur le plan éthique la nature de ses risques et des réponses à leur apporter et de conseiller les gouvernements et les organisations internationales afin de faciliter leurs décisions. Outre ses deux initiateurs, une trentaine de personnalités internationales, intellectuels, scientifiques et politiques, d’Henri Atlan à Fidel Ramos, de Bernard Kouchner à Alpha Konaré en passant par les Suisses Alain Modoux et Franz Muheim, ont déjà signé cet appel, dont la coordination est assurée à Paris par Sacha Goldman, secrétaire général de l’Association pour le Collegium.

Exportateur de critères moraux

Un programme vaste et ambitieux, qui n’effraie nullement Michel Rocard, qui était de passage à Genève récemment pour le présenter. «Nous sommes dans un complot que nous avons plaisir à mener. C’est un pari. Mais nous sommes convaincus que la régulation mondiale ne progressera pas par le droit dur, par des traités contraignants, mais plutôt par le droit «mou», par des initiatives ouvertes comme celle-ci.»

Pour ce faire, le député Rocard ne craint pas de briser les tabous bien-pensants: «L’Occident fournit surtout de l’aide au tiers monde sous forme d’exportation de normes et de critères moraux. Notre prétention à dire le droit et la morale est douteuse. Prenez le cas de la corruption. Pendant des siècles, tous nos ministres ont été de grands concussionnaires mais nous voudrions que l’Afrique règle ce problème en trente ans. Et nous nous obstinons à créer des modes de vie dispendieux qui obligent les classes dirigeantes des pays pauvres à s’enrichir pour tenir leur rang. J’estime que la corruption doit être limitée à 5% du produit national brut. Au-dessous, c’est une nécessité, au-dessus c’est du vol qui doit être puni.»

«Dans un projet éthique global, il faut se méfier des définitions trop simples et qui ne profitent qu’à ceux qui les ont établies, il faut changer le vocabulaire, écarter la morale étroite. Et s’attaquer aux gros poissons.» Tel est le sens profond de ce qu’il est désormais convenu le développement durable. Ce concept, établi par la commission Brundtland à l’initiative de l’ancien secrétaire général des Nations Unies Perez de Cuellar, a mis vingt ans à s’imposer dans le vocabulaire. Michel Rocard et ses amis comptent bien le mettre en œuvre rapidement.

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